Chronique n°11 : Grandaddy – Last Place (30th Century Records, 2017)

Les derniers seront les premiers

Tout droit venus de la côte Ouest américaine, les cinq Californiens ont enfin concrétisé leur retour cet hiver avec Last Place, première sortie discographique depuis Just Like The Fambly Cat (V2 Music Ltd, 2006) et leur première séparation, il y a de cela plus de 10 ans !

Entre temps, le groupe de Jason Lytle s’était reformé le temps d’une série de concerts en 2012, déjà très prometteurs et ovationnés à travers l’Europe et notamment en France, pour les 10 ans du festival Rock en Seine. Pourtant, il leur aura fallu attendre encore cinq (longues) années avant de nous offrir un nouvel opus, pour le coup des plus abouti et scintillant.

Certes, force est d’admettre que cette attente est vite excusée par la qualité du disque que le groupe propose. Déjà dès les premières notes du morceau d’ouverture, Way We Won’t, nous voici de façon quasi-immédiate dangereusement happés par une mélodie électronique et gentiment infantile, terriblement agissante il va sans dire, nous rappelant les effets ravageurs de leur ancien tube Now It’s On (album Sumday, V2 Music Ltd, 2003), qu’ils semblent, sans grande difficulté, avoir ici réussi à dépasser.

Une quiétude légèrement indocile plane sur l’instant d’écoute, nourrie par un duo de guitares molletonnées aux intonations duveteuses et brutes puis ponctuée par un motif mélodique au synthé entêtant et rétro-futuriste. Aucun doute, tout cela est bel et bien signé.

Les harmonies vocales, sereines et apaisées, poursuivent leur envol avec Brush With The Wild qui tient à nous rappeler également le rôle essentiel alloué aux riffs influents des guitares, dans ce que sera la texture finale de l’ensemble.

Longtemps comparé à des pointures de l’histoire du rock que sont Alan Parsons Project ou Jeff Lyne et son prodigieux Electric Light Orchestra (cette référence est plus que jamais saisissante tout au long de cet album), mais aussi à des modèles plus contemporains tels que Pavement, Radiohead, Weezer ou Elliott Smith, Grandaddy continue ici de faire la brillante démonstration de cette filiation tout à fait méritée.

Si Evermore, Jed The 4th et A Lost Machine séduisent par leur caractère moderniste ainsi que leurs sonorités industrielles délicates et mesurées, tandis que Check Injin prend soin de rappeler l’estampe plus farouche de certaines compositions du groupe, les autres titres de l’album, à savoir The Boat Is In The Barn, I Don’t Wanna Live Here Anymore, This Is The Part, Songbird Son ou l’indiscutablement divine That’s What You Get For Gettin Outa Bed, vont résolument renouer avec l’essence pop plus épurée du groupe, finalement originelle.

Car là se dessinent précisément les composantes du charme de Grandaddy et de leur space rock intelligent et raffiné : un habile et tout aussi parfait équilibre résultant d’une poignée de ballades pures et savoureuses, sur fond de face à face entre un canevas mélodique simple mais éclatant et un accompagnement instrumental parfois plus lourd et lancinant, symbolisant la perpétuelle tension entre la légèreté d’une six cordes acoustique défiée par les éclats saturés et crasseux d’une guitare électrique, le tout porté par une voix flegmatique et murmurante. Souvenons-nous pour l’occasion du premier succès du groupe, AM 180 (album Under The Western Freeway, V2 Music Ltd, 1997), déjà porteur et révélateur de cette plume si spécifique.

De son parfum d’été aux couleurs pastel et vespérales, Last Place fascine, éblouit et réconforte, mais surtout nous assure qu’avec ce grand retour, Grandaddy est loin de ne se hisser qu’à la dernière place, bien au contraire.

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